Photo: David Boily, Archives La Presse
Cet article a été publié dans La Presse « Opinions » le 27 juin 2021
La semaine dernière, j’ai commencé un premier mandat avec ICI Première en tant que chroniqueuse de politique municipale pour la grande région montréalaise. Je peux difficilement vous décrire mon enthousiasme autrement qu’en vous confiant que j’ai accepté l’offre sur-le-champ, avant de sauter assez fort dans notre salon pour faire surgir mon conjoint, qui me demandait si je me sentais bien. J’ai l’impression qu’enfin les grandes portes de la culture montréalaise et radio-canadienne s’ouvrent à moi.
Je mettrai à profit mon expérience en tant qu’ancienne conseillère municipale et cheffe d’un parti municipal montréalais pour commenter l’actualité de cette campagne municipale qui s’annonce déjà fort intéressante.
Mais il y a toujours ce petit doute, ce questionnement sur ma place dans le grand cercle des faiseurs d’opinion de notre métropole. D’abord, il y a le fameux syndrome de l’imposteur assez répandu chez les femmes, qui nous pousse à nous préparer deux fois plus que nécessaire, à tout noter et à mémoriser, de peur de laisser échapper une donnée, un fait qui trahirait notre imposture. Avec les années et l’expérience, je pense avoir dompté cette crainte.
Je parle de l’autre doute, celui que nous partageons tous à différents degrés, et qui touche à notre identité et à notre désir de se faire accepter malgré nos différences.
Suis-je assez Québécoise ?
Je suis arrivée au Québec en 1995, année du référendum ; ç’a été pour moi l’année du début de mes études à l’Université McGill. Je revenais de la France, où j’avais passé deux ans en tant qu’étudiante.
Partout où j’allais, l’on me posait d’emblée la même question : « Êtes-vous Française ? » L’enjeu du référendum y était pour beaucoup dans ces questions récurrentes, chacun voulant savoir de quel côté on se rangeait, et les subtilités étaient peu tolérées. Je suis Canadienne, moi ! Mais comment expliquer ce petit accent, ce français précis et sec, poivré tant de formules ontariennes que de formules françaises ? « Non, Ontarienne », répondais-je, avant d’ajouter « mais je reviens de la France ».
Vingt-six ans plus tard, années entrecoupées d’une escale à Ottawa et d’un séjour de six ans à Seattle, aux États-Unis, je peux tout de même dire que c’est au Québec que j’ai passé la majeure partie de ma vie. Mon conjoint est né au Québec et nos enfants, nés aux États-Unis, se définissent sans hésitation comme Québécois. Même après tout ce temps, suis-je suffisamment Québécoise pour accéder aux rangs de ceux et celles qui parlent au nom de l’actualité politique montréalaise ?
Notre angle mort
C’est en écoutant l’entrevue lundi dernier de Stéphan Bureau avec Isabelle Maréchal, à Bien entendu, que ça s’est cristallisé. Il lui pose une question sur son choix de faire des communications son métier alors qu’elle avait, esquivait-il avec grande délicatesse, « ce qui encore peut-être pourrait être pour certains comme un accent ».
« Isabelle Maréchal a un accent ? », me suis-je demandé.
Stéphan Bureau parlait bien d’un vestige d’accent français dont on peut discerner encore un peu les contours chez la très populaire animatrice radio. Il poursuit en évoquant notre « volonté d’être inclusif » et en demandant « si dans notre angle mort, il n’y avait pas plus exclusifs [voulant dire qui risque de nous exclure] que le fait de parler le français autrement… ou avec un accent, ou avec ce qui est perçu comme un accent ».
Il venait de mettre le doigt dessus. C’est là que le doute m’a envahie.
Si Isabelle Maréchal parle le français « autrement », que vont-ils dire en m’entendant à la radio ? Pourtant, avec un nom comme McIntyre, on se doutera bien que j’ai un petit accent !
Par ailleurs, les accents ne sont-ils pas les décorations infiniment variées qui ornent notre langue, la rendent vibrante, savoureuse, colorée – vivante?
Si, au début de la carrière de Mme Maréchal, son accent faisait encore sourciller, aujourd’hui, rien de plus montréalais que de s’entourer d’accents aussi variés que la composition démographique de notre ville !
Autant le discours de la représentation de la diversité fait du chemin dans les organisations médiatiques et politiques, autant je remarque en parallèle une nouvelle effervescence dans la langue parlée chez nous. Pour un Québec qui forme une nation dont le français est la seule langue officielle et aussi la langue commune,ça ne peut qu’être une excellente nouvelle.