Il y a présentement un éveil collectif par rapport à nos villes. Les gens s’intéressent aux villes qui, d’après les prédictions, accueilleront près du 70% de la population mondiale d’ici 2050. Il faudrait donc qu’on planifie l’urbanisme de nos villes pour accueillir cette croissance.
Déjà, il y a un débat concernant la voie publique: est-ce qu’il s’agit d’une voie réellement publique quand elle est réservée à l’utilisation exclusive des automobilistes et des camionneurs? Clairement il trône depuis longtemps une hiérarchie de l’utilisation des voies publiques qui se traduit dans leur design, presque exclusivement centré autour de l’automobiliste et où le cycliste, encore plus que le piéton, est marginalisé.
Nous tentons de démocratiser ces espaces en greffant des pistes cyclables, en élargissant les trottoirs, parfois avec succès, mais parfois aussi dans une cohabitation qui incommode les uns et met à risque les autres.
Pendant ce temps, à la Ville de Montréal, nous parlons de la Vision Zéro, cette orientation vers la sécurité et la cohabitation qui nous provient de là où nous proviennent tant d’idées inspirantes, la Suède. Selon la Vision Zéro, les accidents sont de nature humaine et donc leur occurrence à l’occasion serait inévitable – tant que nos véhicules seront encore pilotés par des êtres humains! Il revient donc aux responsables des infrastructures routières d’incorporer des éléments de design, d’aménagements routiers et de contrôle de vitesse de manière à minimiser l’impact d’un éventuel accident.
Pendant qu’on parlait de tout ceci, je réfléchissais à cette question de cohabitation et de la sécurité des usagers de nos voies publiques, essayant de trouver, en l’espèce de compilation anecdotique des accidents et comportements routiers que j’ai recueillis au cours de ma vie, une explication, une raison fondamentale qui expliquerait nos difficultés de cohabitation. Je crois l’avoir trouvée dans la vitesse.
Jusqu’ici dans l’histoire de l’humanité, le progrès se mesure par la vitesse. La vitesse de l’adaptation à nos situations uniques de crise et de survie; la vitesse de l’appropriation d’une nouvelle technologie. Tout comme nos moyens de communication, du crieur public au facteur et du facteur à l’internet, nos déplacements n’ont pas cessés d’accélérer. Il est donc naturel pour nous, qui sommes habitués depuis peu à vivre une révolution technologique à tous les cycles de production informatique, de transposer inconsciemment cette accélération à d’autres aspects de notre vie.
Notre cycle de relations avec nos amis, nos amoureux; notre travail; notre alimentation : tous les aspects de notre vie sont touchés par cette tendance sous-jacente de vouloir toujours accélérer la cadence. Des pommes tranchées, vendues en sac, ça existe pour cette raison et pour cette raison seulement, car de toute autre manière de considérer la chose, ce serait illogique.
Mais malgré toutes ces avancées technologiques, l’évolution fulgurante dans certaines domaines ne se traduit pas, ou du moins pas parfaitement, vers d’autres domaines. Nos déplacements ont atteint, pour le moment, un plateau et ne peuvent se faire à une vitesse qui double à chaque deux ans, tel que la loi de Moore pour les microprocesseurs.
Même au contraire, les automobilistes qui régnait jadis sur les routes doivent dès lors accepter d’autres usagers sur les voies, en plus de naviguer les multiples entraves à la circulation causées par les rénovations nécessaires sur des structures qui datent presque toutes d’il y a cinquante ans. Le design de nos routes demeure fixé en configuration de quadrillage contrôlé par les oh-combien-frustrants feux de circulation où chacun attend son tour pour passer. La vieille technologie des années cinquantes, quoi. Rien à voir donc avec notre monde hyperactif où tout se passe simultanément et à haute vitesse!
Il y a un décalage entre les aspects «technologiques» de notre vie qui sont en mode accélération et les aspects «traditionnels» qui stagnent et refusent de suivre le pas. Dans ces circonstances, il n’est pas du tout surprenant qu’on peine à atteindre la «vision zéro» accidents.
Comment résoudre ce décalage et la frustration qui en résulte?
C’est simple: en ralentissant. Pas parce qu’on nous oblige à ralentir; pas parce que les circonstances l’imposent (quoique les deux sont peut-être vrais). Mais parce qu’on choisit de la faire.
N’est ce pas que le plus grand luxe qu’on peut se payer c’est, justement, le temps? D’être moins pressés d’arriver et même de choisir de prendre son temps: n’est-ce pas un privilège? Et si on choisissait de voir notre trajet quotidien vers le travail, l’école, l’épicerie comme un moment privilégié, on pourrait même choisir un mode de déplacement…. plus lent. Bien sûre, vous me direz que ce n’est pas à la portée de tous! Mais quand on peut… ce serait peut-être là le changement qu’il nous faut pour vivre ensemble en milieu urbain, et pour approcher cette vision zéro.
Parce que le temps n’est pas compressible: il faut le prendre à sa pleine valeur et le vivre. Tout comme le plaisir de croquer dans une pomme, une vraie.