Le Plan climat de Montréal: Sans changement structurel, on ne peut espérer que des petits pas.

Installation d’art urbain (en vérité, des cônes jaunes en plastique) à la Place des Tisserandes dans l’arrondissement Mercier-Hochelaga-Maisonneuve, décembre 2020.

Montréal a dévoilé son Plan Climat 2020-2030 le 10 décembre dernier. Le Plan se veut une “feuille de route” pour mener la Ville vers l’objectif d’atteindre  en 2050 la carboneutralité. 

Ce travail collaboratif réalisé par un comité consultatif constitué à cette fin, de concert avec le Bureau de la transition écologique et de la résilience, s’articule autour de 5 grands chantiers, qui sont la mobilisation citoyenne, l’aménagement urbain, les bâtiments, l’exemplarité de la Ville et la gouvernance. Ces 5 chantiers sont ensuite déclinés en 46 actions concrètes à mettre en œuvre.

…Vous êtes toujours là? 

Avouons-le: avec ses 122 pages, c’est beaucoup à absorber pour le commun des mortels, celui-là même qui dans le contexte actuel se préoccupe surtout de sa perte de revenu, de la santé de ses parents vieillissants, ou encore du confinement de ses enfants, résignés à de longues heures devant un écran. 

Malheureusement, l’urgence sanitaire n’efface pas celle du climat. Malgré la mise sur pause de plusieurs activités accélératrices de la dégradation de l’environnement (le tourisme, les trajets quotidiens en auto-solo pour ne nommer que ceux-là) nous n’avons pas réussi collectivement à infléchir la tendance vers un réchauffement planétaire qui dépasserait même possiblement (ce n’est pas moi qui le dit!) le 1,5 degrés Celsius décrété par l’accord de Paris.  

Pendant que la pandémie suit son cours sinistre, le climat poursuit son réchauffement. 

D’où la pertinence d’un tel document, qui fixe des objectifs non seulement de diminution de gaz à effet de serre (les fameux GES responsables du dérèglement climatique) mais qui propose aussi des mesures d’adaptation à un environnement plus imprévisible, et dont la pandémie semble nous fournir une première épreuve à échelle mondiale. 

Parmi les actions proposées dans le Plan, on retrouve celles auxquelles on s’attendrait: la plantation massive d’arbres (500 000), l’accroissement de la protection des espaces verts (pour atteindre 10%), le développement du transport actif et collectif, de nouvelles normes d’efficacité pour les bâtiments. Il y a aussi quelques mesures originales proposées, comme celles, ambitieuses, visant la réduction des GES sur les chantiers de construction, le déploiement d’espaces locaux de logistique urbaine (ELU), et l’élimination de l’utilisation du mazout pour le chauffage, ce qui représente à elle seule une diminution de 5% des GES.

Les cinq chantiers: une forte prépondérance de la gouvernance municipale

Ce qui m’a intrigué de ce plan, c’est les choix des cinq chantiers. Clairement, quand on s’est assis autour de la table, après les échanges préliminaires, le premier ordre du jour fut de déterminer les catégories de priorités, qui reflètent le ton des discussions et les réflexions des participants. Alors que trois sur les cinq catégories choisies soient axées sur la gouvernance même, on pourrait s’attendre à ce qu’on nous propose des idées franchement audacieuses dans ce domaine. 

Mais, non. On se contente de dire que la Ville doit se montrer exemplaire (même si les émissions générées par les activités de la Ville en soi ne comptent que pour moins de 2% des émissions totales); d’évoquer davantage de participation citoyenne, notamment par le biais des budgets participatifs, et enfin dans un dernier soupir d’annoncer que la Ville souhaite intégrer un « test climat » à tous ses contrats. Toutes des mesures louables, mais rien de réellement révolutionnaire. 

Pourtant, nous sommes bien en « crise » climatique, et non pas en légère préoccupation  climatique. La pandémie nous aura appris que le gouvernement est capable d’exiger beaucoup de sa population quand il le faut, et d’imposer des mesures strictes quand celles-ci sont comprises comme étant nécessaires au bien commun. On vit un changement d’époque, le moment est donc propice à proposer des changements fondamentaux à la structure même de la gouvernance municipale, afin de rendre celle-ci mieux adaptée à un avenir qui risque d’être fort différent du passé récent. 

Si j’apprécie le ton positif du rapport, son optimisme franchement bienvenu dans ces mois sombres d’un janvier confiné, je constate qu’il rate cette occasion de proposer une innovation profonde dans la gouvernance. 

Ouvrons le débat avec un petit sondage: 

  • Avez-vous assisté à une séance du Conseil de Ville dans les 5 dernières années? 
  • … à une séance du Conseil d’arrondissement? 
  • Connaissez-vous les noms des élus qui vous représentent? 
  • Savez-vous combien d’élus il y a à la Ville de Montréal? (Réponse: 103)

Si vous avez répondu oui à même une des questions – pourtant toutes assez essentielles au sain fonctionnement du système démocratique municipal! – je vous propose pour la nomination du citoyen.ne exemplaire de l’année. 

Les Villes évoluent, les systèmes se sclérosent

« les structures de transparence commencent inévitablement à devenir des structures de stupidité dès que cela (la formalisation de processus informels) a lieu. »

David Graeber, L’Utopie des règles

Le parlementarisme des séances du Conseil, le fonctionnement partisan de notre système de gouvernance, la distribution des pouvoirs entre Ville-centre, arrondissements, villes liées de l’agglomération et la Communauté métropolitaine de Montréal, les commissions permanentes and consultations publiques: toutes ces instances et pratiques, créées à une autre époque et dans un autre contexte civique, reflètent la manière de concevoir le rôle des élus et le rôle des municipalités vis à vis de leur population, qui a beaucoup évoluée depuis. 

Le cynisme et la remise en question constante de nos institutions, nourris par l’aile droite de la pensée politique, ont contribué à miner la confiance de la population face aux élus, même municipaux – je dis « même » puisque ce palier du gouvernement est considéré plus accessible et dans son domaine de compétences plus proche de la vie quotidienne des citoyens. 

Un désintérêt général s’est installé malgré les efforts d’embarquer les citoyens dans le processus décisionnel par le biais de consultations publiques, séances de co-création et autres tentatives participatives. Comme dit David Graeber dans son livre L’Utopie des règles, « les structures de transparence commencent inévitablement à devenir des structures de stupidité dès que cela (la formalisation de processus informels) a lieu. » 

Au lieu de tenter d’embarquer le citoyen dans un processus, décrété par un système, qui ne représente plus rien de tangible ni de compatible avec la vie des gens, il serait temps de proposer des changements au système. 

Dans le chapitre « Repenser le front municipal » de son livre À Nous la Ville!, Jonathan Durand Folco constate le détachement entre gouvernement et gouvernés qui s’est installé progressivement dans nos municipalités. Il propose la création d’une plateforme citoyenne à échelle nationale, une sorte de pacte éthique qui obligerait les élus à répondre aux obligations imposées par un vaste consortium de citoyens impliqués, et qui rendrait les élus susceptibles de se faire éjecter entre les élections pour non-conformité. 

Clairement, M. Durand Folco n’a jamais été élu (dans les circonstances, je ne le lui souhaiterais pas non plus). 

Déjà, choisir de délaisser le confort d’un poste (universitaire ou autre) plus ou moins stable pour se présenter en élection au risque de se voir rejeté dehors après 4 ans n’est pas une proposition alléchante. Rendre le poste d’élu encore plus instable ne ferait que réduire le nombre de candidatures intéressantes, ne laissant que quelques idéologues de la gauche radicale, prêts à se sacrifier pour une idéologie.  

Plus problématique encore est son identification du problème de détachement publique-politique à une lacune éthique de l’individu élu plutôt qu’à un problème structurel, ce qui mène à cette fausse piste de vouloir imposer davantage de contraintes sur l’individu élu. En fait, même les individus les mieux intentionnés, les plus dévoués, éthiques et idéalistes ne peuvent réussir une transformation démocratique quand le système même dans lequel ils se trouvent ne le permet point. 

Conclusion: proposer un changement de paradigme structurel

Revenons au Plan Climat.

Tant qu’à ouvrir la porte, pourquoi ne pas entrer dans la pièce? 

La table est mise pour proposer un changement radical au système: un renforcement du rôle des conseils locaux d’arrondissement; une déstructuralisation et débureaucratisation des instances afin de les rendre réellement participatives; une réduction dans le nombre d’élus participant aux débats afin d’éviter les absurdités des lignes de parti dans un contexte municipal; une allegiance par district plutôt que par parti (le fait que les élus sont disposés dans la salle du conseil selon leurs partis et non selon les districts qu’ils représentent en dit beaucoup sur les priorités). 

Chacun de ces points mériterait d’être étudié de manière détaillée. Mais il semblerait qu’une fois arrivé au pouvoir, un parti, peu importe son penchant idéologique, perd son élan révolutionnaire pour concentrer ses efforts sur son maintien au pouvoir. Ce n’est pas une accusation des individus en poste! C’est un constat de la loi démocratique la plus fondamentale :  de saisir et maintenir le pouvoir. De manière fondamentale, les partis existent pour cette raison et pour cette raison uniquement; la définition des programmes demeure subordonnée à l’instinct de survie. 

L’adaptation aux changements climatiques n’implique pas que les gestes individuels, ni même les gestes collectifs, mais aussi une réformation en profondeur de nos systèmes démocratiques et de nos institutions.

Consulter le Plan Climat 2020-2030

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