6e rapport du GIEC sur le climat : Qu’attendons-nous pour agir ?

PHOTO DIMITAR DILKOFF, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Cet article fut publié le 15 août 2021 dans la section «Opinions» du journal La Presse: https://www.lapresse.ca/debats/opinions/2021-08-15/changements-climatiques/qu-attendons-nous-pour-agir.php

Lundi, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a sorti son 6e et plus récent rapport sur les changements climatiques. Pour les environnementalistes et les éco-anxieux, la seule chose qui est pire d’avoir tort c’est d’avoir raison; ce rapport a donné raison à tous ceux et celles qui s’inquiètent de l’avancement, encore plus rapide que prévu, de la dégradation climatique.   

Rappelons que le premier rapport d’évaluation du GIEC date de 1990 et que ses conclusions, quoique exprimées avec une certitude et une urgence toujours grandissantes, n’ont pas changé en substance.

Si la science est là, claire et limpide devant nous, qu’attendons-nous pour agir ?

Le découplage, ce concept de la pensée magique

Quand l’humain est confronté à la catastrophe, les réactions se déclinent (grosso modo) en trois catégories de réponse: la lutte, la fuite, et le déni.

Pour lutter ou fuir, encore faut-il que la menace soit tangible et immédiate; c’est le cas des réfugiés climatiques qui fuient devant les inondations et les feux de forêt, laissant derrière eux des décombres irrécupérables. Or, la majorité de la population est toujours face à une menace future, même s’il s’agit d’un futur imminent. Nous choisissons donc, à forte majorité, le déni.

Ce déni prend la forme de rationalisations qui visent à minimiser la menace d’effondrement planétaire, à la repousser toujours plus loin dans le temps, et d’investir d’un optimisme qui frôle le fantastique nos capacités d’innovation technologiques pour nous sortir du pétrin.

Le Saint-Graal du développement durable, nécessaire à la promotion de la « croissance verte », le « découplage » cherche à identifier des actions susceptibles de produire une rupture entre les graphiques qui se font terriblement écho: celle du PIB et celle des émissions de GES. Si seulement (ainsi s’exprime cette rationalisation) on pourrait identifier l’innovation technologique qui ferait en sorte qu’on pourrait continuer à jouir d’une croissance économique tout en stabilisant, en diminuant même (vous dire à quel point la pensée est «magique»!) l’impact sur le climat, on pourrait inverser la tendance et éviter la catastrophe annoncée.

Je ne reviendrai pas sur ce concept. D’abord parce qu’il a déjà été démenti (voir l’excellente étude de 2019 pour le Bureau européen de l’environnement « Decoupling Debunked » de T. Parrique et al.); ensuite parce qu’il est trop tard pour poursuivre la chasse à la licorne, car l’heure est déjà grave et il faudrait s’occuper d’enjeux plus pressants.

Je reprendrai donc le terme du découplage pour l’appliquer à une autre rupture: celle qui se creuse entre les sonneurs d’alerte et les décideurs.

Les décideurs

Pendant que les rapports alarmants se multiplient, les politiques stagnent. Les mains liées par de puissants lobbys, les épaules lourdes de la responsabilité d’entretenir une économie dont dépend notre mode de vie, les décideurs ne peuvent se prononcer clairement en faveur des mesures urgentes à prendre. On se complaît dans la rhétorique nuancée, on s’éternise dans les arbitrages pendant qu’à l’extérieur des salles du conseil feutrées les forêts brûlent, les glaces fondent et les espèces s’éteignent en silence.

Il est clair aujourd’hui que peu importe l’étendue et la précision des données, peu importe la multiplication des signaux d’alarme lancés par le GIEC et d’autres corps scientifiques, peu importe même l’évidence palpable des événements climatiques dévastatrices qui frappent sans pitié de plus en plus de communautés ‒ entre ce qu’il faudrait faire et ce qui se fait il s’est ouvert une brèche infranchissable.

Dans les circonstances, il est plus que temps de changer de stratégie.

Big Brother

D’abord, s’attaquer à l’ennemi invisible: le marketing.

Dans l’actualité de cette semaine, on apprend qu’une femme russe poursuit la châine de restauration MacDonald’s pour dommage moral, affirmant que « Après avoir vu l’annonce, je n’ai pas pu m’en empêcher, je suis allé chez McDonald’s et j’ai acheté un cheeseburger ».

L’histoire peut paraître anecdotique, un peu ridicule même; mais n’y a-t-il pas un fond de vérité qu’on reconnaît tous? Le marketing en soi, n’est-ce pas une atteinte constante à notre liberté de pouvoir faire des choix sans coercition?

Loin d’être purement informatif, le marketing définit nos désirs et nous guide à les orienter autour d’une gamme de produits offerts. Tant et aussi longtemps que nous subissons l’influence de messages conçus pour stimuler et promouvoir la consommation, toute tentative d’imposer ou même de proposer une réduction de la consommation rencontrera une résistance féroce, ou tombera tout simplement caduc. Or, la consommation est le moteur de l’économie avec son impulsion à la production, ses chaînes logistiques, la surconsommation et – en bout de ligne – les déchets qu’elle engendre. Il est illogique de croire qu’on pourra agir sur la réduction des émissions sans aussi agir sur une réduction – et non seulement une « optimisation » – de la consommation.

Afin de niveler le terrain de jeu et permettre un débat libre d’influence, il faudrait agir pour limiter le marketing, en commençant par les produits et activités les plus polluants.

À l’autre bout du cycle de la consommation sont les déchets, témoins gênants de notre course folle. Que ceux-ci soient sous forme d’émissions atmosphériques, de polluants chimiques dans nos cours d’eau, ou de résidus domestiques destinés à l’enfouissement, des contrôles rigoureux s’imposent. Il ne devrait plus être envisageable de polluer, de déverser ou de jeter des objets « gratuitement » et sans conséquences; le modèle pollueur-payeur s’impose pour freiner le plus rapidement possible la dégradation de l’environnement. 

Faire tomber le mur invisible

Comme l’urgence climatique touche tout le monde, il est essentiel que tous s’impliquent dans une stratégie de lutte et d’adaptation. Les débats et prises de décision doivent se faire de manière plus souple, moins partisane et plus participative. Pour cela, le mur invisible entre politique et citoyen, gouverneur et gouverné doit tomber. En amont, il y a un important travail d’éducation à la vie civique à faire pour stimuler une participation populaire vigoureuse.  

Enfin, nos décisions seraient conséquentes avec ce que la science nous démontre, et ce que perçoivent nos sens. Chacun se sentira responsabilisé mais aussi habilité pour agir. Et c’est ensemble qu’on affronterait le plus grand défi de l’humanité: celui de survivre à notre propre succès planétaire.

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