Le centre-ville, à qui de droit

« Les maisons font la ville, mais les citoyens font la Cité. »

Rousseau, Du contrat social
Une image du projet d’aménagement de l’Avenue McGill-College des lauréats du concours de design: civiliti + Mandaworks et SNC Lavalin, en collaboration avec Lasalle-NHC, UDO Design, Biodiversité Conseil, Lamontagne Consultants et EVOQ Canada / Suède

Beaucoup plus qu’une simple agglutination d’habitations et de services, la ville est investie d’une âme. Qui peut parler de Paris, de New York, d’Amsterdam, de Montréal sans évoquer un sentiment, un état d’esprit particulier, une façon d’y vivre? Cette âme urbaine ou coeur battant de la ville naît de ce mélange, particulier à chaque endroit, de sa situation géographique, de son climat, de ses attraits naturels (pensons au Seine de Paris, au lac Léman de Genève, aux Andes de Bogota), de son développement culturel, économique et urbain, et surtout de l’esprit du peuple qui l’habite. 

Les premiers facteurs déterminent le cadre physique et naturel de la ville; son développement culturel, économique et urbain et les citoyens eux-mêmes sont des attributs de nature humaine, et qui forment les aspects culturels, linguistiques et identitaires.

Il est certain qu’il y a une symbiose entre tous ces facteurs déterminants: le climat hivernal a contribué à former le caractère des muscovites et l’architecture de leur ville tout autant que les montagnes influencent l’évolution de la culture et de l’urbanisme du peuple tibetain.

Que serait Montréal, Hochelaga, Tiohtià:ke sans son Mont-Royal, sans son fleuve St-Laurent? Son identité se décline en couches successives de peuples qui y ont élu domicile, ajoutant tour à tour leurs logis et aménagements autour de ces éléments fondamentaux du paysage.  

Le projet d’aménagement récemment dévoilé de l’avenue McGill-Collège ramène à la surface de notre perception ce lien fondamental à la nature et nous invite à concevoir les tours à bureaux, les boutiques, condos, routes et autres structures comme autant de couches superposées sur le lieu d’origine que fait émerger le projet. On a l’impression que la ville respire, enfin; qu’une paix est déclarée entre l’humain et la nature.

* * * * *

En contraste à ceci, je vous invite à prendre connaissance du projet de développement dans l’ouest de l’île proposé par Fairview-Cadillac. Celui-ci, situé en bordure d’une autoroute – structure non seulement superposée au paysage, mais dont la fonction première est l’évacuation rapide des véhicules quittant la ville – celui-ci dis-je, a aussi l’avantage d’intégrer une station du REM, le train surélevé qui transforme de façon drastique le paysage urbain.

Design du nouveau centre -ville de l’Ouest-de-l’île proposé par Cadillac-Fairview

Autour de ces aménagements techniques prônant le déplacement motorisé à haute vitesse, il fallait peut-être s’attendre à voir un projet d’habitation aussi technique, avec tout ce que ce qualificatif peut comporter d’aliénant. Mais que le promoteur le qualifie de « nouveau centre-ville »? Ce mot est vidé de son sens, et ne peut décrire en ce contexte qu’un centre-ville de fonction, qui ressemble en tous points à un centre commercial, sans aucun ancrage aux éléments fondamentaux cités ci-haut. 

Et pourtant. L’ouest de l’île comporte des endroits magnifiques, des vues imprenables sur le fleuve, des grands parcs majestueux, des bâtiments et des arbres centenaires!  Mais voici: quand les élus abdiquent leur rôle de représentation et de concertation entre parties prenantes; quand ils abdiquent leur rôle de communicateurs et de visionnaires, le centre-ville devient un pur concept marchand. Un besoin de marché (logements, commerces) desservi par un aménagement de transport (autoroute, REM) est livré à profit (Cadillac-Fairview) à la population (consommateurs): ceci n’est pas un centre-ville. 

Quand les élus abdiquent leur rôle de représentation et de concertation entre parties prenantes; quand ils abdiquent leur rôle de communicateurs et de visionnaires, le centre-ville devient un pur concept marchand.

Lors de l’annonce du REM le 22 avril, 2016, les sceptiques accusaient le projet d’être un buffet ouvert pour les promoteurs immobiliers. En effet, ceux qui ont eu la prévoyance d’acheter des terrains (vagues, à faible valeur) le long du futur corridor du REM ont frappé le beau jackpot : la valeur des terrains est montée en flèche avec le potentiel d’un développement lucratif rendu possible par le REM.

Cité dans une revue portant sur les nouveautés en immobilier,  Brian Salpeter, vice-président-est du Cadillac-Fairview affirme au sujet du projet: « Tout ce qui manque à l’ouest-de-l’île c’est un centre-ville, et c’est justement là qu’on s’insère. » Ah, bon? Et les élus, eux? Et les citoyens qu’ils représentent? 

Avec ce projet, nous avons collectivement confondu les rôles respectifs du développement économique et du processus démocratique, ce dernier étant plus long, et moins rentable.  Je souhaite ardemment que les citoyens des municipalités de l’ouest de l’île, dont les arrondissements de Montréal, s’impliquent, se font entendre et exigent de leurs élus des projets identitaires et territoriaux forts, des lieux de rassemblement en dehors des intérêts commerciaux, des lieux de célébration du paysage et de l’histoire de l’endroit; je leur souhaite un centre-ville dotée d’une âme. 

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2 Replies to “Le centre-ville, à qui de droit”

  1. Hi Justine,

    Thanks for the essay, this was a good read. While my opinions of both proposals may be somewhat different from yours, just a quick note about “Ah, bon? Et les élus, eux? Et les citoyens qu’ils représentent?” Yes, Cadillac-Fairview’s plans for the Fairview shopping centre and the adjacent lots date back to the early 2010s, but so does Pointe-Claire’s master plan, updated in 2016 to include REM (and its original path in front of the Holiday Inn, and a guess that the station would be closer to the Sears end of the mall). The plans specifically call for the area to be redeveloped into an “active city centre,” and repeatedly calls it a “new City Centre” and a de facto “Downtown West Island.” It’s a plan developed by city employees and approved by elected officials.

    http://www.pointe-claire.ca/content/uploads/2016/05/Chapitre-4-Le-centre-ville_EN-projet.pdf

    Best regards, and thanks for making me think on a Saturday morning.

    1. Hi Francesco,

      I really appreciate you taking the time to read my article, and to leave your comment. I’m glad to know that the City of Pointe-Claire had integrated the REM into their Master Plan – again, as you point out, that was in 2016; the land for the CF project in question was acquired (at a bargain rate) in 2013, three years before the REM was publically announced.

      I will admit that as a former Pierrefonds-Roxboro City Councillor it gets my goat that this is being touted as a “downtown” for the West Island as a whole, while there are so many charming places that could – with a little TLC – be transformed into vibrant city spaces. Pierrefonds-Roxboro’s 3-year strategic plan (2015-2018) predates the REM, although it did announce its intention to create a “TOD” zone around the existing Roxboro train station, as well as a civic centre around the St-Jean / Pierrefonds Blvd axis. Where are those now? They seem to have dried up and evaporated into thin air.

      Which brings me to wonder just how much the WI is being considered *as a whole*, along with the fact that the current plan will undoubtedly keep people in their cars – the REM is a track between WI & Montreal’s downtown, not a way for West-Islanders to circulate locally.

      Thanks again for contributing to the discussion!

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