Le mal de vivre, par crainte de mourir

Qui pèche par excès de crainte est un lâche. 

Aristote, Éthique à Nicomaque
Ophelia, John Everett Millais

Quand le gouvernement dit à la population: Restez chez vous! Sortir est dangereux, vous mettez en danger la vie des autres, et la vie de votre famille! 

Le jeune entend: Ma vie ne vaut pas grande chose, alors; elle ne vaut même pas la peine d’être vécue. 

Perversement, la sécurité est devenue une obsession maladive. Nous avons si peur du risque – le risque d’accident, le risque d’infection, le risque de maladie, le risque de mort – que nous ne fumons plus, nous ne buvons plus, nous nous équipons de véhicules de plus en plus blindés pour nous déplacer, nous mangeons sans gras trans, sans sucre, sans sel, sans allergènes et à la fin sans goût, nous ne rions plus (rire donne des rides) et finalement nous ne vivons plus, tant nous sommes préoccupés à présenter sur nos écrans notre vie virtuelle vertueuse. 

Ce qui devait arriver, est arrivé. Le fils d’une famille que je connais, des voisins sympathiques de mon ancien quartier, s’est enlevé la vie. Un jeune de 20 ans, doux, fin, beau, sportif, travaillant. Et sans espoir. 

Elle est où la porte de sortie pour nos jeunes? Le seul portrait qu’on leur présente de l’avenir – dans les nouvelles, dans les discours politiques, dans les représentations de films futuristes et de jeux vidéo, même dans les écoles – est le portrait conçu dans nos têtes à nous, les adultes, les « vieux ». Et ce portrait est funeste! Notre vision de l’avenir est apocalyptique!

Si c’est le cas, c’est seulement parce que nous, les vieux connaissons les torts que nous avons causés à l’environnement, aux autres humains, aux non-humains aussi, et nous voyons à la fois le cataclysme qui nous attend si l’on continue, et l’impossibilité de changer de parcours dans un temps suffisamment court. 

Il est facile pour le jeune d’en conclure: je n’ai pas demandé d’hériter de cet avenir, mais cet avenir sera le mien. 

De grâce, demandons-nous collectivement: Est-ce que notre priorité sociale est la sécurité? Ou est-ce le droit à la vie, vécue pleinement? Ce droit à la vie implique une mesure de sécurité bien sûre! Mettre sa ceinture de sécurité dans l’auto – mais aussi, cesser de conduire afin de réduire son empreinte carbone; limiter nos déplacements en temps de pandémie – mais aussi, limiter nos déplacements par avion partout sur la planète; mettre un masque quand on est dans un lieu public fermé – mais aussi, comprendre l’importance vitale de la communauté, de la création, de rêver l’avenir, en un mot de l’espoir.  

Face à de si grandes luttes, à des problématiques si complexes, (le réchauffement planétaire, la pandémie, la rupture sociale, et la liste s’allonge) le plus important outil à notre disposition, c’est notre capacité d’imaginer un avenir autre que celui martelé en nous.

Toutes ces structures qui nous encombrent et qui nous menacent ne sont à la fin que des structures que nous avons créées nous-mêmes, des structures qui sont le fruit de notre imaginaire! Or, comme le monstre de Frankenstein, ce qui est fabriqué par l’homme peut (et parfois doit) être défait et mis à mort. 

La vision de l’avenir que l’on présente comme une réalité assurée ne l’est pas encore; les jeunes ont le droit à leur version de l’avenir. Ne pêchons pas contre les générations futures en leur enlevant la possibilité d’imaginer l’avenir autrement qu’à travers nos craintes. Ne leur enlevons pas l’espoir. 

Share