
J’ai l’habitude de marcher pour me rendre en studio les mardis après-midi, jour de ma chronique hebdomadaire à l’émission Le 15-18 à Radio-Canada. Cela m’aide à réfléchir autrement, et à un autre rythme que celui qu’on a assis derrière son écran d’ordinateur.
C’est une marche de 45 minutes (à pas rapide) qui me permet aussi d’observer la ville, ma ville, celle que j’habite avec tous ces autres citadins.
Je marchais donc à pas rapide sur la rue Ontario direction ouest cet après-midi, en tournant des idées dans ma tête quand je vois venir vers moi un individu clairement en crise. Il marche la tête penchée en avant. Il bave abondamment, tout en hurlant. La morve coule de son nez en longs filaments qui se balancent dans le vent. J’aperçois à sa main droite un objet brillant.
C’est une lame de couteau.
Je fige. Mon corps de glace, j’essaie de me faire toute petite, de me rendre invisible, mon seul super-pouvoir. Fight or flight, vu ma taille diminutive, mon instinct me commande de fuir. C’est là que je réalise qu’il ne me voit pas – il regarde dans le vide, saisi dans une lutte contre ses démons.
Je le contourne telle une petite souris et poursuis mon chemin en hâtant le pas au cas où il déciderait de se revirer vers moi.
Je signale le 911 et donne sa description, son allure, la direction dans laquelle il marchait, et je décris le couteau (six pouces de long, une lame large et dorée, on dirait un couteau ornemental de combat, ou de chasse).
Trois heures plus tard, je reçois un appel d’un agent policier. L’individu a été retrouvé, clairement en détresse, et amené à l’hôpital où il sera, on l’espère, soigné. L’agent me remercie d’avoir appelé en notant que malgré la rue très fréquentée par des piétons, personne d’autre n’a signalé la présence d’un individu en crise.
Heille ! Il avait un couteau à la main en plein jour et personne d’autre n’a fait le saut ?
Ce qui me fait réfléchir.
On m’a appris à être proactive, à ne pas rester neutre en situation où quelqu’un a clairement besoin d’aide. If you see something, say something.
Avons-nous perdu ce réflexe social, celui de se soucier de l’autre, et de la sécurité publique au sens large ?
Si j’ai été épargnée d’un potentiel geste violent de la part d’un individu en crise, rien ne garantit la sécurité du prochain passant qui croisera son regard. N’ai-je pas alors l’obligation morale d’agir ?
Ou encore, serions-nous si captivés, désensibilisés par nos petits appareils que nous n’observons plus ce qui se passe réellement autour de nous ? Du plus profond de nos bulles, la réalité qui nous entoure ne nous atteindrait plus ? Une réalité souvent lourde à côtoyer, dépendamment du quartier dans lequel on vit. C’est peut-être encore plus choquant.
Je suis à la fois touchée et bouleversée par cet appel de l’agent policier – qu’il me remercie, moi, pour un geste si normal, si attendu de la part d’un membre de toute société fonctionnelle. Et aussi qu’il prenne le temps de m’informer que la personne va recevoir, on l’espère encore (connaissant l’état de notre système de santé) les soins dont il en a besoin. Je sentais qu’on partageait un sentiment d’avoir évité le drame qui aurait pu se produire.
Et j’ai envie de dire merci. Merci à l’agente du 911. Merci aux agents policiers pour votre service. Merci à tous ceux et celles qui se soucient les uns des autres. Merci à tous ceux et celles qui ramassent la misère au quotidien et qui font de leur mieux pour venir en aide en toute circonstance. Merci.
Soyons généreux, et soucieux les uns envers les autres. Les fondements de notre société reposent sur cette bienveillance.
_: Si tu vois quelque chose, dis quelque chose